Valentine A. 09/02/2021

Je suis la féministe de ma famille

tags :

Dans la famille de Valentine, parler patriarcat, inégalités de genre, et stéréotypes, ça passe moyen. Mais à force d'insister, son étiquette de « féministe » finit par payer.

« T’es moche avec tes cheveux courts, les filles ont les cheveux longs. » Il y a environ cinq ans, alors que j’étais de passage en week-end chez ma mère, ma petite sœur, qui était alors en maternelle, s’est mise à pleurer car ses copines d’école lui avaient dit cette phrase. C’est le jour où j’ai commencé à parler à ma famille des inégalités entre les genres, le jour où j’ai compris que ça pourrait être utile à la construction de mon frère et de mes sœurs.

Ça m’a fait de la peine, d’abord pour ma sœur – avec qui j’ai quatorze ans d’écart, mais aussi parce que j’avais idéalisé la génération qui me suivait. Comment des petites filles nées en 2012 pouvaient être aussi matrixées par la société ? Je trouvais ça fou qu’à 5 ans elles aient déjà intégré les standards de beauté et de féminité. 

Si j’avais commencé à lire beaucoup et si je savais déjà que l’école et l’éducation de nos parents jouaient un rôle important dans la construction stéréotypée des enfants, c’est avec cet événement que j’en ai pleinement pris conscience. Je voyais bien que ma mère ne savait pas trop comment réagir à la détresse de ma sœur. Elle lui a répété qu’elle était jolie et ça m’a un peu dérangé. Pourquoi est-ce si important qu’une fille soit « jolie » ? Et pourquoi les cheveux courts ne sont-ils pas « jolis » pour tout le monde ?

Mon militantisme féministe était mon jardin secret

Auprès de mes amis, je n’ai jamais eu de problèmes à affirmer que je suis féministe. C’est en licence de lettres, après un cours sur le genre, que j’ai commencé ma déconstruction. Moi qui ne m’étais jamais posée de questions sur le fait qu’on naissait fille ou garçon et qui pensais que le but de la vie était de fonder une famille, je n’en étais plus sûre du tout. Tout un champ de savoirs et de possibilités que j’ignorais s’ouvrait à moi et je découvris des théories qui m’aidèrent à mettre des mots sur ce que je pouvais ressentir.

La vie n’était plus binaire, et je ne trouvais plus cela normal de me sentir en insécurité dans la rue. J’étais (et je le suis toujours) révoltée contre tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, empêchent les gens de vivre comme ils l’entendent. Mais au sein de ma famille, j’ai mis plus de temps à exprimer mes idées et à en discuter avec eux. Peut-être parce que j’avais trop entendu mon entourage critiquer les féministes qu’ils voyaient à la télé, peut-être parce que j’aimais séparer ma vie à Lyon de celle avec ma famille. Mon militantisme était quelque part devenu mon jardin secret.

J’ai écopé de l’étiquette de la « féministe » de la famille

Mais après l’épisode avec ma petite sœur, j’ai décidé d’exprimer mes idées dans mon cercle familial. Ce n’était pas vraiment une décision consciente, c’est venu tout seul. Je me souviens de cette fois où ma mère et son amie se plaignaient de leurs hommes qui, notamment, ne faisaient pas les tâches ménagères. Je leur ai donc dit que c’était un truc que j’avais trop vu et que, personnellement, j’allais éviter. Mon mec n’aura pas besoin de moi pour faire le ménage ! Et bien croyez-le ou non, elles, qui pourtant se plaignaient des hommes cinq minutes avant, m’ont dit : « Tu devrais peut-être exprimer tes idées de manière moins virulente car tu ne vas pas trouver de copain en étant comme ça. » Le « comme ça » étant féministe.

Dans le documentaire « À nous d’agir », Arte fait un tour d’Europe des mouvements militants animés par les jeunes générations : de Priscillia Ludosky, figure des Gilets jaunes, à Assa Traoré, militante antiraciste !

J’ai donc petit à petit écopé de l’étiquette de la « féministe » de la famille, alors que ce que je disais n’était pour moi que la normalité. Je suis devenue celle qui parle un peu trop de patriarcat et qu’on n’écoute plus vraiment une fois qu’elle est lancée. J’ai eu des discussions, parfois intéressantes, parfois non, avec les adultes qui m’entourent depuis ma naissance, sur leur conception du couple par exemple. C’est aussi comme ça que j’ai compris qu’on ne pouvait pas éduquer tout le monde et qu’il valait parfois mieux s’économiser et ne pas perdre de temps à discuter avec des gens qui ne veulent pas entendre tes arguments (tonton, je t’aime même si le concept de charge mentale te passe complètement au-dessus). 

Mon lycéen de frère a pu en toute confiance effectuer son coming-out

Mais, heureusement, ma mère ne fait pas partie de cette catégorie (ou peut-être que c’est auprès d’elle que je milite le plus). Vous avez déjà sûrement entendu vos parents et leurs amis avoir LA discussion sur « comment tu réagirais si ton enfant était gay ? ». Eh bien, sans grande surprise, ma mère était dans la team « je n’ai rien contre les homosexuels, mais j’aurais du mal si cela arrivait à mon enfant ». 

Lorsque ma mère me demandait « quand est-ce que tu me ramènes un copain à la maison ? », j’ai inlassablement répondu : « Ou une copine. » Au départ, je voulais juste la provoquer. Et puis à force de m’entendre le dire, elle l’a accepté. Elle a changé de discours face à ses amis : « Le plus important c’est que mes enfants soient heureux. Puis, de nos jours, il existe tellement de moyens pour eux de me faire des petits-enfants » (bon j’ai encore du boulot sur la pression sociale de faire des enfants). Et ce qui était alors une discussion hypothétique s’est concrétisée l’année dernière… Lorsque mon lycéen de frère a pu en toute confiance effectuer son coming-out auprès de ma mère. On est vite passés à autre chose puisque ma mère a totalement normalisé le fait qu’on puisse aimer qui on veut. Je suis fière de lui, fière de ma mère et du chemin parcouru.

On ne choisit pas sa famille et, parfois, le clash est inévitable. Pour pouvoir s’affirmer et vivre son militantisme, Emeline a été obligée de s’éloigner de son père aux opinions sexistes, racistes et homophobes.

Une main tient une télécommande pour éteindre la télévision positionnée devant la tête d'une personne, mon père. La scène se passe dans un champ.

Parler de son militantisme avec sa famille peut être cool et enrichissant : avoir l’étiquette de féministe a au moins le mérite de m’éviter certaines remarques (puisque les membres de ma famille font des efforts [j’apprécie] pour ne pas me froisser), et il arrive même que certains m’écoutent !

Valentine, 22 ans, volontaire en service civique, Lyon

Visuel Nathalie Hof / La ZEP

Crédit photos Unsplash // CC Ali Abiyar et CC Terrah Holly

Partager

Commenter