Anne B. 14/09/2019

Entendre « ça y est, tu es une femme », ça fait peur

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Anne a eu ses règles très tôt. Et les problèmes sont arrivés avec elles : avoir des formes si jeune, ça a été un calvaire.

L’année de mes 9 ans, le regard des autres a changé. Cette année marque une grande nouveauté dans ma vie de… femme. À l’époque, j’ai immortalisé cette date dans mon journal intime. Même si je ne me rendais pas encore compte qu’avoir ses règles change énormément la perception que l’on a de soi et bien sûr la perception des autres.

À 9 ans, tous ces changements sont assez difficiles à gérer. Mon corps s’est transformé à vue d’œil et surtout en décalage par rapport aux autres. C’est ça le pire : devenir réellement différente. Ma mère ne m’a pas aidée, manque de tact oblige. Si jeune, entendre « hé bah ça y est, tu es une femme », ça fait peur. Le lendemain, j’avais sport à l’école. Je vous laisse imaginer la gêne sur mon visage lorsque, devant toute la classe, ma professeure s’est exclamée : « Bienvenue au club ! » Je m’en rappelle encore. Ça m’a marquée.

Au primaire, mes camarades ont été assez méchants. J’étais la cible de moqueries. J’étais la plus grande du niveau. Donc on me considérait comme un monstre. J’entendais souvent parler dans mon dos. J’avais honte de me changer en sport devant toutes les filles. Je ne me sentais pas normale. Je me cachais souvent, surtout les signes de ma puberté naissante. Les brassières ont été pour moi un grand traumatisme ! Le regard des autres me faisait peur. Et j’avais mes raisons.

Avec des formes, on devient une femme

À cause de cette différence, je n’avais pas beaucoup d’amis. On me rassurait en disant que c’était de la jalousie, mais je savais que c’était surtout de l’incompréhension. Les enfants ne comprenaient pas et les parents non plus d’ailleurs. On m’appelait « la géante », on m’envoyait des lettres anonymes et on appelait chez moi. Certaines personnes avaient des mots très durs. À cet âge, je n’arrivais pas à prendre le recul nécessaire. Je n’arrivais pas à les ignorer. Alors je me suis renfermée sur moi-même. Je n’en parlais à personne.

Les regards, c’était justement le plus éprouvant. À l’école, dans la rue, au sport, à la plage… Partout. Des regards qui pouvaient vite être lubriques, incongrus, malsains. On ne se rend pas compte qu’avec des formes, on devient une femme et donc potentiellement désirable. On doit alors se protéger. Et c’est à partir de ce moment que j’ai décidé d’en parler à mes parents. Pour me protéger. J’ai troqué ma féminité contre une allure plus virile et masculine. Je ne jouais pas aux mêmes jeux que les filles de ma classe. Je m’habillais seulement avec des vêtements larges pour faire disparaître ce corps. J’ai mis du temps à m’accepter parce que je vivais au travers des autres.

Pour Célia, devenir une femme a été plus tardif et plus libérateur qu’entravant. C’est lorsqu’elle a découvert la sexualité qu’elle s’est sentie vraiment adulte, à 20 ans.

Jusqu’à mes 15 ans, j’ai toujours fait plus âgée. On me considérait comme une personne plus mûre, alors moi aussi je me considérais comme telle. Alors que ce n’était pas forcément le cas. Finalement, cette précocité, j’ai su vivre avec. Les regards ne sont gênants que lorsqu’on y prête attention. Avec l’âge, j’ai appris à m’en détacher énormément. Et c’est à ce moment-là que j’ai accepté mon corps.

Il m’a fallu accepter ce corps différent des autres filles de mon âge, avec tous ses inconvénients. Faire avec les jugements, les « a priori », les incompréhensions, la jalousie, les insultes et la sexualisation, elle aussi, précoce. Surtout, ne pas grandir trop vite. Et ne pas brûler des étapes essentielles à ma construction.

Anne, 20 ans, étudiante, Nanterre

Crédit photo Unsplash // CC Vinicius Amano

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