Nahomie M. 02/10/2020

Un vendredi à 19 h 30, j’étais à la rue

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Mise dehors par ma mère après avoir subi une agression sexuelle, je me suis retrouvée à la rue. Deux ans d'errance qui, aujourd'hui, sont bien loin derrière moi.

Ce soir-là, je n’avais pas faim. Je voyais ma vie se fondre devant mes yeux et j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Je voyais les voisins monter et descendre les escaliers, ils me regardaient avec un air bizarre. J’avais honte de ma situation, et j’avais peur. Cette nuit-là, je n’ai pas réussi à fermer l’œil. Je souffrais par rapport à ma situation, et pas facile de dormir dans les escaliers. Tout est dur, il fait froid et chaque cinq minutes il y a quelqu’un qui sort ou qui rentre. Cette nuit-là, je me suis fait virer de chez moi. C’était un vendredi de 2016, vers 19 h 30, et j’étais à la rue.

J’ai subi des attouchements sexuels de la part de mon beau-père. J’avais 17 ans. Je me suis enfermée dans ma chambre en attendant que ma mère arrive. Ça faisait pas mal de temps qu’il me faisait du rentre-dedans. Mais, ce soir-là, c’était parti beaucoup trop loin, donc je voulais tout avouer à ma mère.

À minuit et quelques, elle était de retour à la maison. Elle ne m’a pas crue une seconde. Elle a dit que j’étais une menteuse et que j’étais jalouse de sa vie avec son copain. Elle m’a mise dehors à 1 heure du matin.

Quand je me suis retrouvée à la rue, je me suis dit qu’elle allait se calmer et me récupérer, vu que je suis sa fille. Il faisait hyper froid, c’était au mois de décembre. Il y avait même de la neige. Je me rappelle, je n’avais pas de pull, j’étais en débardeur avec un jogging. Au bout d’une heure, je ne sentais plus mes doigts. Je tremblais de partout.

Ma première nuit à la rue, j’étais devant sa maison

Ma mère n’est pas venue me récupérer et j’ai commencé à prendre les choses au sérieux. Je suis partie me réfugier chez ma voisine d’en face. Elle m’a laissée dormir chez elle pour cette nuit-là et, le lendemain, je suis retournée m’expliquer avec ma mère. Mais elle m’a mise dehors encore une fois. Elle était ma seule famille, alors je suis partie chez ma meilleure amie pour qu’elle m’aide. Elle a expliqué ma situation à sa mère, en vain : elle ne voulait pas m’héberger chez elle.

Ma première nuit à la rue, j’étais dehors, devant sa maison à Chelles-Gournay. Je ne savais pas où aller. Je n’avais pas de téléphone, ni de vêtements, ni à manger et je n’avais pas d’argent. J’étais assise devant l’immeuble et j’étais au bout de ma vie. Pour moi, c’était la fin. J’étais en pleurs, je me demandais  :  pourquoi moi  ?

Le film Les invisibles nous plonge dans un centre d’accueil pour femmes sans domicile fixe. Décidées à les sortir coûte que coûte de la précarité, leurs assistantes sociales sont prêtes à tout. Même lorsque la municipalité menace la fermeture du centre…

Je me disais que je ne méritais pas tout ça. J’ai appelé le 115 avec le téléphone de ma copine. Encore une fois un échec, pas de réponse. Je suis rentrée dans l’immeuble car il faisait nuit et très froid. Je me suis mise devant la porte de ma copine à côté des escaliers. Elle m’a ramené une couverture, à boire et à manger.

Il y avait beaucoup de garçons qui traînaient

Au bout d’une semaine, j’ai commencé à m’habituer à dormir dans les escaliers. Je me suis dit : «  Il y a pire que moi. Moi je dors dans les escaliers, il y en a d’autres qui dorment dehors.  » Même si ce n’était pas le luxe. Je suis restée pendant six mois dans le même immeuble et ma meilleure amie m’aidait comme elle pouvait.

J’ai continué d’aller au lycée. J’essayais de cacher ma situation car je voulais que personne ne soit au courant. J’avais peur de faire du tort à ma mère en disant à tout le monde qu’elle m’avait mise dehors ou même en allant voir la police. Car, dans un coin de ma tête, je me disais qu’elle reviendrait vers moi.

Au bout de six mois, j’ai eu mon bac. Mais, tout d’un coup, les choses sont devenues beaucoup plus dures : les voisins ont signalé au gardien qu’une personne traînait dans les escaliers. Alors je me suis retrouvée entièrement à la rue. La première nuit passée dehors devant l’immeuble de ma copine, j’avais peur. Il y avait beaucoup de garçons qui traînaient et moi j’avais juste 18 ans. J’avais peur de me faire agresser alors j’ai marché pendant quelques heures, le temps qu’ils partent, pour ensuite trouver un endroit caché pour me reposer.

Ma copine était toujours là, c’était ma petite ange gardienne. Elle me ramenait des petites choses à manger et, quand sa mère partait au travail, elle me faisait rentrer dans sa maison pour dormir un peu et prendre une douche.

«  Tout ça parce que j’ai dit la vérité  !?   »

Je me faisais insulter dehors. Je rencontrais souvent mes camarades de classe dans le bus et elles me regardaient bizarre. Je n’avais pas toujours la chance de prendre une douche donc, des fois, je sentais mauvais. Alors dans les transports, les gens me fuyaient comme si j’étais une maladie. Je passais toute ma journée dans les bus, trains, métros, de terminus à terminus ; tout ça pour me reposer car, la nuit, je veillais pour éviter toute situation dangereuse. J’étais incapable d’aller chercher un travail. J’étais sale et je n’avais pas d’expérience.

Des fois, je retournais voir ma mère. Elle me voyait devant la porte et elle m’insultait. Je voyais mes demi-frères à travers la fenêtre me regarder comme si j’étais une voleuse, une inconnue. Et je me disais : «  Tout ça parce que j’ai dit la vérité  !?  » Je regardais mon beau-père de loin qui était content. Je finissais par pleurer et partir. Je pensais à mon petit papa qui était au ciel, qui me regardait et me protégeait. Au fond de moi, je savais qu’un jour la situation allait changer.

La famille d’accueil thérapeutique, c’est comme l’hôpital, mais à la maison

Un soir, c’était l’anniversaire de ma meilleure amie. À cette soirée-là, j’ai rencontré un homme. C’était le premier homme que j’approchais depuis mon agression. Il m’a directement hébergée chez lui et m’a sortie de la rue. Ça a été mon troisième ange  ! Même s’il n’est plus avec moi, je n’oublierai jamais que c’est grâce à lui que je suis devenue la femme que je suis aujourd’hui.

Le père d’Hector a réussi à sortir de la rue après avoir été embauché. Aujourd’hui, il le considère comme un exemple de réussite.

À la fin de ma relation, je suis entrée en famille d’accueil thérapeutique suite à ma dépression. C’est une famille qui accueille des gens malades pour les aider à vivre, à réaliser leurs projets. C’est comme l’hôpital, mais à la maison. Grâce à eux, j’ai commencé doucement à me relever, à reprendre une formation en tant qu’hôtesse événementielle. Ils ont toujours été là pour moi. Et à la fin de mon contrat famille d’accueil, ils ont décidé de me garder comme leur enfant. On avait créé des liens tellement forts qu’on ne voulait plus se lâcher ! Ils sont devenus les parents que j’avais toujours voulu avoir, il n’y a pas de différence entre leurs filles et moi.

J’ai signé pour deux ans de formation à l’école de la deuxième chance (E2C). Au bout d’un an, j’ai commencé à postuler pour des emplois. Ça m’a permis de faire pas mal de stages et de trouver mon bonheur. J’ai travaillé avec quatre agences d’événementiel !

J’ai gagné pas mal de choses dans ma vie. J’ai puisé dans tout ce que j’avais pour pouvoir arriver à mes fins. Et les choses que j’ai pu construire, personne ne pourra me les enlever.

 

Nahomie, 23 ans, salariée, Lieusaint

Crédit photo Unsplash // CC Christian Chen

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2 réactions

  1. Bonjour,

    Votre histoire me touche beaucoup puisqu’elle fait intervenir des personnes qui pourraient être moi même. Je pourrais être ceux qui vous ont fait peur ou celle qui vous a aidé ou ceux qui vous ont accueilli. Votre recit montre qu’il y a de la solidarité chez quelques personnes et dans quelques organisations donc il m’enjoint à en faire autant. Seulement je vois souvent la solidarité aussi comme une chose qui trouble son espace personnel. Or, votre détresse a été plus grave que mon eventuel trouble. Par conséquent je dois moins hésiter à venir en aide aux personnes en détresse même si ce n’est pas facile, pour soi et pour son entourage.
    Du coup je veux conclure ce commentaire par l’expression de mon admiration pour ceux qui franchissent le pas de la solidarité. Ceux de votre recit sont un exemple à mes yeux et si un jour je fais de même ils auront débloqué quelque chose quelque part chez moi.
    Merci donc et merci à cette plateforme.

    Bonne journée

  2. ça c’est criminel. j’espère que tu vas mieux maintenant

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