Shaïna E. 13/01/2020

Mon quartier à Nantes, c’est la merde et tout le monde s’en fout

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Au Breil, dans ma cité, c'est deal, violences policières et bâtiments insalubres. On veut que ça change, mais y a zéro communication de la part de la ville.

J’habite au quartier Breil, en périphérie de Nantes. Et mon quartier, c’est la merde !

J’habite en plein noyau de ma cité, là où tout se passe. On l’appelle la chauf’, parce qu’à côté de chez moi, il y a une chaufferie et pendant l’hiver, tout le monde se pose à côté. Mais ils ont décidé de la détruire. Je ne sais pas pourquoi. En tout cas, c’est chiant parce que c’était pratique.

De ma fenêtre, je vois tout ce qui se passe, parce que j’habite au cœur du quartier, là où tout le monde traîne. Je vois vraiment tout : fusillades, bagarres et morts.

En face de chez moi se trouvent trois tours où il y a beaucoup de trafics de drogues, petits et grands y participent. Je vois les allers-retours des jeunes qui dealent et des clients. Certains viennent même parfois me demander : « Tu sais où je peux trouver ? » Voire même : « T’as pas de la beuh ? » Ils voient qu’on est jeunes et que sûrement on en a, ou qu’on sait où c’est. C’est plutôt la nuit, quand y a plus trop de monde.

Au Breil, tu sais jamais si c’est un pétard ou un coup de feu que t’entends

Mon quartier, je vois aussi qu’il est en guerre avec certaines cités de Nantes, donc il y a beaucoup d’affrontements, de jour comme de nuit. Un jeune du Breil s’est fait tirer dans la jambe par des jeunes d’un autre quartier de Nantes et de ma fenêtre je voyais tout. Un coup de feu, c’est un bruit strident et ça résonne. C’est fort : tu sais jamais si c’est un pétard ou un coup de feu.

J’ai aussi une scène qui m’a marquée. C’était pendant l’été, il faisait beau, tout le monde est descendu traîner. Parmi eux se trouvaient mes frères, et moi j’étais par la fenêtre. Avec ma mère, on parlait au bord de la fenêtre. Quand d’un coup, j’ai vu quelqu’un dans une voiture noire aux vitres teintées sortir une arme par la fenêtre et la pointer vers les jeunes. Tout le monde a été pris de panique, il y avait beaucoup de cris et de pleurs des mères. Il a juste pointé, mais ça a duré longtemps, y a eu un vrai mouvement de panique. Certains couraient, les mères prenaient leurs enfants et ma mère est descendue en courant chercher mes petits frères. Ils avaient 8 et 9 ans.

Le 3 juillet 2018, Aboubacar Fofana, 22 ans, a été tué par un CRS à la suite d’un contrôle de police dans le quartier du Breil à Nantes. Un an après, le policier n’a toujours pas été entendu par le juge d’instruction malgré sa mise en examen. Un article France Bleu.

Mais le plus marquant, ça a été le 3 juillet 2018, une date qui restera graver dans le cœur de tous les habitants de ma cité : au cours d’un contrôle de police, un jeune de mon quartier s’est fait tiré dessus. De là, c’était l’émeute : la mairie du Dervallières, le cabinet de médecin, des voitures et des poubelles ont été brûlées. La police nous a envoyé du gaz lacrymogène et d’autres projectiles. Entre les médias et les commères, c’était vraiment le bordel.

C’était compliqué même au niveau scolaire. Surtout au lycée, vu que je venais de ce quartier, c’était en mode : « Oh hier j’ai entendu qu’au Breil ça a tiré ! » Ou : « Je peux comprendre que des fois tu sois absente, tu dois forcément avoir peur de sortir vu l’endroit ou t’habites. » La CPE, les directeurs étaient au courant des événements. Alors que finalement, c’est pas tous les jours que des choses comme ça arrivent.

Poubelles, cafards, pisse et j’en passe

Mais, même sans émeute, souvent la police passe : 8h ils sont là. 20h ils repassent. Je les vois faire des tours, s’arrêter, observer ou aller à la confrontation. Ils viennent chercher des armes, la drogue, prendre les dealers par surprise pour les arrêter, mais il y a aussi des moments où ils viennent juste pour venir. Sans vraie raison.

Nos bâtiments, en général, sont dégueulasses ! À cause de l’odeur des gens qui fument, de la beuh ou même de la cigarette. Dans les bâtiments, les gens font pipi dans les escaliers sans réelle raison. Ceux qui traînent dans les cages d’escalier, juste pour traîner… Je pense juste que certaines personnes n’ont aucun respect.

Maes vient d’un quartier sensible en région parisienne. Même si ça l’a forgé, il a décidé d’en partir pour aller de l’avant : « C’est pas le quartier qui me quitte… »

Poubelles, cafards, pisse et j’en passe. Il y a des bennes à ordure, mais il n’y a pas beaucoup de personnes qui prennent le temps de la jeter à l’extérieur. Ou sinon, ils posent ça sur un parking et se barrent. Du coup, ça fait un tas de poubelles, c’est pas très propre à voir.

Tout le monde aimerait que ça change : les jeunes, les adultes, les vieux. Mais on ne voit aucun vrai changement. Je pense qu’entre la ville de Nantes et nous, les habitants du quartier, il n’y a pas de communication et d’efforts.

Malgré tout ça, j’aime mon quartier : on se connaît tous mais on voudrait tous le quitter.

 

Shaïna, 19 ans, volontaire en service civique, Nantes

Crédit photo Hans Lucas // © Matthieu Thomasset

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