Aguerö A. 09/07/2018

Passer les frontières, c’est attendre, se cacher, essayer, recommencer

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Depuis le Mali, entre les galères d'argent, les frontières, la police, les passeurs, j'ai mis presque deux mois à atteindre la Méditerranée et donc une porte d'entrée vers l'Europe.

Je suis parti du Mali en septembre. On est arrivés en camion en Algérie, avec un passeur, ça a duré longtemps pour arriver jusqu’en Maghnia, une région à la frontière.

Au début, j’étais dans un foyer en Algérie. J’étais avec un ami et notre passeur. On nous a dit de rester dans le foyer, mais on ne savait pas pour combien de temps. C’était une petite maison d’une seule pièce avec quatre tapis par terre. Et c’est tout. Pas d’eau, pas d’électricité. On ne vivait pas très bien là-bas, on ne pouvait pas dormir comme on voulait, on se réveillait tout le temps à cause du bruit, des hommes qui se battaient et qui parlaient fort. On ne pouvait pas se laver, sauf quand on allait travailler au jardin ! Parfois, on se lavait pas pendant trois jours ou plus.

On se réveillait à 5 heures du matin. Chaque jour, on ramassait les branches d’olivier, d’un arbre noir et vert, très important. On soigne les gens avec, on peut aussi le manger, on l’utilise souvent pour faire la cuisine. On mangeait aussi du pain que le jardinier nous apportait. On buvait du Fanta ou du Coca parce qu’il n’y avait pas d’eau.

On est restés longtemps tous les trois là-bas, je ne sais pas combien de temps, mais j’étais fatigué et j’ai perdu du poids. Je n’avais pas de portable pour connaître les dates, et je n’ai pas demandé. Il y a des gens que je ne connaissais pas qui venaient pour attendre pour passer aussi. Puis ils partaient. Comme nous on avait pas d’argent, on devait travailler et le jardinier donnait notre argent au passeur.

Deux fois, les policiers m’ont attrapé

Un jour, le passeur nous a enfin dit «on va partir». On a traversé la frontière à pied, en une nuit. C’était très difficile, y’avait des gendarmes, des chiens, mais ils ne nous ont pas trouvés. On a escaladé la barrière de barbelés pour aller jusqu’à Oujda, une petite ville du Maroc. On est pas restés longtemps car on est partis dans la forêt à Selouane, une ville proche de Nador, en car. Encore une fois, on est restés longtemps là-bas.

La police est venue plusieurs fois. Elle veut attraper les gens et les renvoyer jusqu’à la frontière. Un matin, très tôt, ils sont arrivés dans notre camp, j’ai eu très peur ! On a entendu le passeur crier : «Les policiers, les policiers !». On a dû courir jusque dans les montagnes ! Si t’es très loin, ils te rattrapent pas. On est restés là-bas jusqu’à ce qu’ils partent.

Deux fois, ils m’ont attrapé. Donc deux fois, j’ai dû repartir en bus jusqu’à la frontière, pas d’Algérie, mais de Mauritanie ! C’est 24h de bus. Tout seul, parce qu’ils n’avaient pas attrapé mon ami. Ils ont attrapé beaucoup de gens. Le truc, c’est que le passeur peut appeler les gens qu’ils ont attrapé, il leur dit de payer un bus pour revenir jusqu’à la capitale, Casablanca, puis un train jusqu’à Nador. On a dû payer pour moi, car je n’ai rien payé.

Mamadou aussi a dû s’y reprendre à plusieurs fois pour venir en France ! Lui, il a tenté de traverser la frontière franco-italienne à pied.

Finalement, le passeur nous a dit, une nuit, qu’on pouvait partir, mais pas avec mon ami, lui, il a dû rester là-bas. J’étais triste qu’il ne vienne pas, et j’avais peur de partir tout seul. C’était en novembre. La traversée a été difficile. Mais une fois que j’ai passé la mer, j’étais content et je savais que je pouvais arriver jusqu’en France, même si je suis maintenant tout seul et que ce n’est pas facile d’avoir des nouvelles de ma famille.

 

Aguerö, 16 ans, en formation, Paris

Crédit photo Flickr // CC EU Civil Protection and Humanitarian Action

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